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mardi 23 juillet 2019

PUBLICATIONS SCIENTIFIQUES : LA GUERRE EST DÉCLARÉE


Le secteur de l'édition scientifique est l'un des plus rentables au monde. Il est aussi largement contesté par les universités et organismes de recherches contraints de payer des abonnements de plusieurs millions de dollars. La prestigieuse Université de Californie a décidé de stopper les frais.
C’est un véritable coup d’éclat pour le monde académique et surtout un symbole. À partir de ce mois-ci, la prestigieuse Université de Californie, n’aura plus accès aux publications scientifiques d’Elsevier, le plus gros éditeur scientifique au monde. Son abonnement a tout simplement été résilié après des mois de négociations infructueuses. La raison de la discorde : le coût prohibitif des souscriptions, entre autres. Ainsi en 2018, l’établissement a dû débourser 11 millions de dollars pour que ses chercheurs puissent accéder à 1500 journaux scientifiques appartenant à Elsevier — qui en détient au total près de 3000. Une situation jugée intenable.
Pour bien comprendre, l’origine de la crise, il faut revenir au modèle économique des éditeurs scientifiques comme Elsevier. Le principe est simple : les chercheurs se doivent de rendre publics les résultats de leurs travaux par des publications scientifiques. Leur manuscrit est soumis à un journal, comme par exemple, la prestigieuse revue médicale The Lancet (qui appartient à  Elsevier). Celle-ci le transmet à des “referees" ou “reviewers”, c’est-à-dire des "pairs", d’autres scientifiques experts dans le domaine de la publication soumise. Ils sont chargés d’évaluer la validité scientifique des résultats présentés. Après examen, ces relecteurs rendent leur avis sur lequel l’éditeur se basera pour décider de publier ou pas ces travaux. Généralement, les “referees” ne sont pas rémunérés pour cette contribution pourtant très chronophage. Ce travail est effectivement considéré comme la reconnaissance au niveau international d’une expertise dans son domaine.

Des marges qui atteignent 40 %
Par contre, pour accéder à ces contenus, la communauté scientifique doit payer. D’où l’obligation pour les universités et institutions de recherche dans le monde, de souscrire des abonnements auprès des éditeurs. Leurs chercheurs peuvent ainsi lire les publications et se tenir informés de l’avancement de la science dans leurs domaines respectifs. Certes, l’édition a un coût. Mais il est sans commune mesure avec les profits qu’elle génère. Un récent article de The Conversation rappelle ainsi que les marges de Elsevier atteignent 40 % contre... 23 % pour Apple, l’une des entreprises les plus rentables au monde.
Dans certains cas, les journaux proposent aux chercheurs de payer la publication de leurs travaux afin que ceux-ci soient en accès libre une fois publiés. “Cela peut aller de 1500 à 5000€ selon les revues”, témoigne une directrice de recherche au CNRS qui préfère rester anonyme. C’est donc la double peine pour les universités et organismes de recherche : ils sont contraints de souscrire des abonnements coûteux auprès des éditeurs et doivent aussi payer pour que les travaux qu’ils ont souvent financés soient publiés en accès libre.

De nouvelles publications en accès libre
Pour tenter de contrer la logique des grands éditeurs, de nouvelles publications dites en open access, c’est-à-dire en libre accès, se sont multipliées. Les plus connues sont notamment Plos One, Scientific Reports ou encore PeerJ. Elles sont donc librement consultables en ligne. Problème, ce sont encore les chercheurs qui doivent payer la publication de leurs travaux. Ce système a en plus favorisé le développement de revues dites prédatrices qui publient les travaux des chercheurs sans en vérifier la validité scientifique… pourvu qu’ils paient.
D’autres initiatives s’efforcent de rendre la publication scientifique totalement libre, c’est-à-dire gratuite à la soumission et à la consultation. C’est par exemple le cas de Peer Community In (PCI), une plateforme en ligne créé en 2017 et qui se définie comme un journal électronique d’évaluation d’articles, dans différents domaines : Biologie évolutive, écologie, paléontologie, zoologie et entomologie. Le fonctionnement est effectivement très particulier. PCI évalue les travaux que les chercheurs ont déposés sur des serveurs dits de pre-print ou des archives publiques telles qu'ArXiv, BioRxiv ou encore HAL (appartenant au CNRS).

Une décision qui va peser sur le secteur

La consultation de ces articles étant libre, les scientifiques peuvent ainsi diffuser gratuitement et rapidement les résultats de leurs travaux, avant de les soumettre à des journaux classiques. Problème : ces travaux n’ont pas été évalués par les pairs, comme c’est le cas dans une revue traditionnelle. Ils n’ont donc en l’état pas beaucoup de valeur. C’est là qu’intervient PCI. “Les auteurs soumettent à PCI les articles qu'ils ont posté sur les pre-print et autres archives. Nos “éditeurs”, c’est-à-dire les chercheurs responsables de l’évaluation des articles choisissent alors les publications qu’ils estiment importantes et les soumettent à des referees qui seront chargés de les évaluer. Tout cela se fait bénévolement.” Précise Thomas Guillemaud, chercheur à l’INRA et co-fondateur de la plateforme. PCI va alors publier sur son site tout le processus d’édition et d’évaluation de l’article : c’est-à-dire les commentaires des éditeurs et des referees, les modifications qui ont été apportées par les auteurs etc… Si l’article est accepté, l’éditeur rédige un texte de recommandation expliquant le contexte de cet article et pourquoi il est important. Un véritable label. Car ce texte sera finalement ajouté au début de l’article et cette nouvelle version, publiée sur les serveurs de l’archive d’origine. Ainsi, les lecteurs seront informés que ces travaux ont été évalués comme un article classique. Pour assurer son accès libre et entièrement gratuit, PCI s’appuie sur un statut d’association à but non lucratif. Les éditeurs comme les référées ne sont pas rémunérés. Quant aux frais de fonctionnement d’environ 20.000 euros par an, ils sont couverts par différents soutiens comme l’Inra et certaines universités
Cette start-up parisienne fondée en juillet par deux ingénieurs, Sylvain Massip et Charles Letailleur, vient en effet de mettre en ligne sa plateforme de publication. Elle se destine à accueillir de nouveaux journaux et toutes les revues traditionnelles qui souhaiteraient passer à un modèle de publication scientifique gratuit et en libre accès. Elle offre en échange tous les services d’un éditeur classique. Une sorte d’Elsevier de l’open access, où tout est gratuit, aussi bien pour la revue, que pour le chercheur qui veut publier ou consulter les publications. Le système serait alors financé par la veille technologique et scientifique assurée par les algorithmes de la start-up pour le compte d’entreprises : par exemple des PME cherchant à développer une nouvelle technologie ou encore les services recherche et développement d’un grand groupe faisant de la prospective. L’analyse automatique des algorithmes seraient alors affinées par l’expertise humaine des scientifiques appartenant à la communauté de chercheurs que les deux entrepreneurs veulent créer autour de leur plateforme. Le succès de la start-up repose bien évidemment sur le développement massif de l’open access car c’est dans ces publications ouvertes qu’elle compte faire tourner ses algorithmes pour ses services de veille.

Même s’il est difficile de prévoir l’évolution de l’édition scientifique, la décision de l’Université de Californie de renoncer aux abonnements d’Elsevier aura très certainement une grande influence sur le secteur. Ce mouvement en faveur de la science ouverte, est aussi bien avancé en Europe. L'union pousse actuellement l’adoption du Plan S, un projet qui vise à obliger les chercheurs dont les travaux ont reçu un financement public, à publier tous leurs résultats en accès libre. Ce plan soutenu par les agences de financement européennes comme l’ANR en France, mais aussi les institutions de recherche (CNRS, INRA etc…), devrait être appliqué à partir du 1er janvier 2021.  Peut-être le début de la fin du règne  des éditeurs sur l’accès à la connaissance scientifique ?

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