Le
secteur de l'édition scientifique est l'un des plus rentables au monde. Il est
aussi largement contesté par les universités et organismes de recherches
contraints de payer des abonnements de plusieurs millions de dollars. La
prestigieuse Université de Californie a décidé de stopper les frais.
C’est un véritable coup d’éclat
pour le monde académique et surtout un symbole. À partir de ce mois-ci, la
prestigieuse Université de Californie, n’aura plus accès aux publications
scientifiques d’Elsevier, le plus gros éditeur scientifique au monde. Son
abonnement a tout simplement été résilié après des mois de négociations
infructueuses. La raison de la discorde : le coût prohibitif des souscriptions,
entre autres. Ainsi en 2018, l’établissement a dû débourser 11 millions de
dollars pour que ses chercheurs puissent accéder à 1500 journaux scientifiques
appartenant à Elsevier — qui en détient au total près de 3000. Une situation
jugée intenable.
Pour bien comprendre, l’origine de la crise, il faut
revenir au modèle économique des éditeurs scientifiques comme Elsevier. Le
principe est simple : les chercheurs se doivent de rendre publics les résultats
de leurs travaux par des publications scientifiques. Leur manuscrit est soumis
à un journal, comme par exemple, la prestigieuse revue médicale The Lancet (qui appartient à Elsevier).
Celle-ci le transmet à des “referees" ou “reviewers”, c’est-à-dire des
"pairs", d’autres scientifiques experts dans le domaine de la
publication soumise. Ils sont chargés d’évaluer la validité scientifique des
résultats présentés. Après examen, ces relecteurs rendent leur avis sur lequel
l’éditeur se basera pour décider de publier ou pas ces travaux. Généralement,
les “referees” ne sont pas rémunérés pour cette contribution pourtant très chronophage.
Ce travail est effectivement considéré comme la reconnaissance au niveau
international d’une expertise dans son domaine.
Des marges qui
atteignent 40 %
Par contre, pour accéder à ces contenus, la communauté
scientifique doit payer. D’où l’obligation pour les universités et institutions
de recherche dans le monde, de souscrire des abonnements auprès des éditeurs.
Leurs chercheurs peuvent ainsi lire les publications et se tenir informés de
l’avancement de la science dans leurs domaines respectifs. Certes, l’édition a
un coût. Mais il est sans commune mesure avec les profits qu’elle génère. Un récent article de The Conversation rappelle
ainsi que les marges de Elsevier atteignent 40 % contre... 23 % pour Apple,
l’une des entreprises les plus rentables au monde.
Dans certains cas, les journaux proposent aux
chercheurs de payer la publication de leurs travaux afin que ceux-ci soient en
accès libre une fois publiés. “Cela peut aller de 1500 à
5000€ selon les revues”, témoigne une directrice de recherche au
CNRS qui préfère rester anonyme. C’est donc la double peine pour les
universités et organismes de recherche : ils sont contraints de souscrire des
abonnements coûteux auprès des éditeurs et doivent aussi payer pour que les
travaux qu’ils ont souvent financés soient publiés en accès libre.
De nouvelles
publications en accès libre
Pour tenter de contrer la logique des grands éditeurs,
de nouvelles publications dites en open access,
c’est-à-dire en libre accès, se sont multipliées. Les plus connues sont
notamment Plos One, Scientific Reports ou
encore PeerJ. Elles sont donc librement consultables en ligne.
Problème, ce sont encore les chercheurs qui doivent payer la publication de
leurs travaux. Ce système a en plus favorisé le développement de revues dites prédatrices qui publient les
travaux des chercheurs sans en vérifier la validité scientifique… pourvu qu’ils
paient.
D’autres initiatives s’efforcent de rendre la
publication scientifique totalement libre, c’est-à-dire gratuite à la
soumission et à la consultation. C’est par exemple le cas de Peer Community In (PCI),
une plateforme en ligne créé en 2017 et qui se définie comme un journal
électronique d’évaluation d’articles, dans différents domaines : Biologie
évolutive, écologie, paléontologie, zoologie et entomologie. Le fonctionnement
est effectivement très particulier. PCI évalue les travaux que les chercheurs
ont déposés sur des serveurs dits de pre-print ou des archives publiques
telles qu'ArXiv, BioRxiv ou encore HAL (appartenant au CNRS).
Une décision qui va peser sur le
secteur
La consultation de ces articles étant libre, les
scientifiques peuvent ainsi diffuser gratuitement et rapidement les résultats
de leurs travaux, avant de les soumettre à des journaux classiques. Problème :
ces travaux n’ont pas été évalués par les pairs, comme c’est le cas dans une
revue traditionnelle. Ils n’ont donc en l’état pas beaucoup de valeur. C’est là
qu’intervient PCI. “Les auteurs soumettent à PCI les articles qu'ils ont posté
sur les pre-print et autres archives. Nos “éditeurs”, c’est-à-dire les
chercheurs responsables de l’évaluation des articles choisissent alors les
publications qu’ils estiment importantes et les soumettent à des referees qui
seront chargés de les évaluer. Tout cela se fait bénévolement.” Précise Thomas
Guillemaud, chercheur à l’INRA et co-fondateur de la plateforme. PCI va alors
publier sur son site tout le processus d’édition et d’évaluation de l’article :
c’est-à-dire les commentaires des éditeurs et des referees, les modifications
qui ont été apportées par les auteurs etc… Si l’article est accepté, l’éditeur
rédige un texte de recommandation expliquant le contexte
de cet article et pourquoi il est important. Un véritable label. Car ce texte
sera finalement ajouté au début de l’article et cette nouvelle version, publiée
sur les serveurs de l’archive d’origine. Ainsi, les lecteurs seront informés
que ces travaux ont été évalués comme un article classique. Pour assurer son
accès libre et entièrement gratuit, PCI s’appuie sur un statut d’association à
but non lucratif. Les éditeurs comme les référées ne sont pas rémunérés. Quant
aux frais de fonctionnement d’environ 20.000 euros par an, ils sont couverts par différents soutiens comme l’Inra et
certaines universités.
Cette start-up parisienne fondée en
juillet par deux ingénieurs, Sylvain Massip et Charles Letailleur, vient en
effet de mettre en ligne sa plateforme de publication. Elle se destine à
accueillir de nouveaux journaux et toutes les revues traditionnelles qui
souhaiteraient passer à un modèle de publication scientifique gratuit et en
libre accès. Elle offre en échange tous les services d’un éditeur classique.
Une sorte d’Elsevier de l’open access, où tout est gratuit, aussi bien pour la
revue, que pour le chercheur qui veut publier ou consulter les publications. Le
système serait alors financé par la veille technologique et scientifique
assurée par les algorithmes de la start-up pour le compte d’entreprises : par
exemple des PME cherchant à développer une nouvelle technologie ou encore les
services recherche et développement d’un grand groupe faisant de la
prospective. L’analyse automatique des algorithmes seraient alors affinées par
l’expertise humaine des scientifiques appartenant à la communauté de chercheurs
que les deux entrepreneurs veulent créer autour de leur plateforme. Le succès
de la start-up repose bien évidemment sur le développement massif de l’open
access car c’est dans ces publications ouvertes qu’elle compte faire tourner
ses algorithmes pour ses services de veille.
Même s’il est difficile de prévoir
l’évolution de l’édition scientifique, la décision de l’Université de
Californie de renoncer aux abonnements d’Elsevier aura très certainement une
grande influence sur le secteur. Ce mouvement en faveur de la science ouverte,
est aussi bien avancé en Europe. L'union pousse actuellement l’adoption du
Plan S, un projet qui vise à obliger les chercheurs dont les travaux ont reçu
un financement public, à publier tous leurs résultats en accès libre. Ce plan
soutenu par les agences de financement européennes comme l’ANR en France,
mais aussi les institutions de recherche (CNRS, INRA etc…), devrait être
appliqué à partir du 1er janvier 2021. Peut-être le début de la fin du
règne des éditeurs sur
l’accès à la connaissance scientifique ?
Source : Science et Avenir
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